La vérité sur Elyssa, fondatrice de Carthage avec A. Belkhodja

Elyssa…son nom restera toujours gravé dans la mémoire collective, indissociable de Carthage, la plus grande métropole de l’antiquité.

La manque d’assez d’informations sur elle, la manque d’une représentation sous forme d’une statue ou bien une peinture, suscitent encore plus l’imagination jusqu’au point qu’on se demande si elle a vraiment existait, si elle a été la fondatrice de Carthage ou bien tout est une légende qui vit jusqu’à nos jours.

On a des questions et on a aussi des réponses ! Découvrez la vérité sur Elyssa, peut être le personnage le plus important de l’histoire de la Tunisie dans une interview pleines de surprises historiques avec Mr. Abdelaziz Belkhodja auquel on doit remercier pour son engagement envers l’éclaircissement du passé de la Tunisie. 

Abdelaziz Belkhodja :  "La tunisienne possède une très puissante féminité qui peut s’expliquer par la grande ambition, l’extraordinaire intelligence et la noblesse de la fondatrice de Carthage"

1. Il était une fois une princesse, Elyssa, fille du roi de Tyr, qui débarqua sur les plages du Golfe de Tunis pour fonder Carthage. Mythe ou réalité ?

Les deux versions coexistent. Selon certains historiens, comme M.H. Fantar, Tyr, pour mieux se défendre contre ses concurrents grecs, voulu fonder une grande cité assez proche du centre de gravité de la puissance grecque qui s’étendait alors sur la Sicile et le Sud de l’Italie, d’où ce choix géographique de la Nouvelle Cité.

Personnellement, je trouve l’histoire de la fondation trop élaborée pour être une légende. Elyssa en fuyant le pouvoir dictatorial de son frère Pygmalion, qui a assassiné son richissime époux, a fondé une cité fonctionnant différemment du royaume de Tyr. Carthage fut d’emblée une République, ce qui semble valider l’histoire qui nous est parvenue car si Carthage n’était qu’une dépendance de Tyr, elle aurait eu les mêmes institutions.

2. Si Carthage était, dès sa fondation, une République, ce serait donc la première du monde ?

Effectivement. Comme me l’a fait remarquer M. Fantar, Elyssa est morte sans laisser de descendance. Ainsi, depuis le début, c’est un conseil qui aurait choisi le successeur d’Elyssa. Et petit à petit, le système républicain (qui se défini par opposition à la succession automatique du régime monarchique) se serait développé. Le plus important témoignage en ce sens est celui du grand Aristote qui, dans un commentaire, a parlé de l’originalité et de la perfection de la République de Carthage. Nous savons qu’Aristote avait un ami carthaginois nommé Hamilcar (rien à voir avec le père d’Hannibal) qui lui aurait longuement exposé le système politique carthaginois.

3. La fondation de Carthage a donc vraiment été le fuit d’un projet féminin ?

J’en suis certain. La tunisienne possède une très puissante féminité qui peut s’expliquer par la grande ambition, l’extraordinaire intelligence et la noblesse de la fondatrice de Carthage.

4. Et cette mort tragique, par immolation, comment l’expliquez vous ?

La mort d’Elyssa mérite des thèses juridiques tellement elle a eu des conséquences politiques formidables.

Les faits sont connus. Après qu’elle ait acquis, à son arrivée,  « autant de terre que peut en contenir une peau de bœuf » par son stratagème de la peau découpée en lanières qui a ainsi défini une grande superficie, Elyssa fut confrontée au roi indigène, de la tribu des « Maxitani », disent les Anciens, ce qui évoque, bien sûr, « Amazigh ». Ce roi, Hiarbas, voyant la cité grandir, opposa un ultimatum : soit Elyssa l’épouse, soit ce serait la guerre. Pour une communauté encore fragile, la guerre était impossible. Alors Elyssa, qui avait fait un serment de fidélité à son défunt époux, trouva le moyen d’assurer la protection de sa communauté, tout en restant fidèle à son époux !

Elle épousa Hiarbas, assurant ainsi juridiquement, la continuité de Carthage ; et, une fois le contrat de mariage signé, elle s’immola par le feu, restant ainsi fidèle à son époux !

La conséquence politique est que les Carthaginois furent, jusqu’au dernier jour de leur cité, très respectueux des Traités et de la parole donnée. C’est la raison pour laquelle Aristote déclare « qu’il n’y a jamais eu de Tyran à Carthage, ni sédition ». Le « Contrat Social » semble avoir merveilleusement fonctionné durant cette République de Carthage qui dura 650 ans !

On dit aussi qu’Elyssa « fut vénérée jusqu’au dernier jour de Carthage »

5. Si cette princesse de Tyr a vraiment existé on peut être surs qu’elle s’appelait Elyssa, vu que les seules sources restent Timée de Taormine et Virgile avec son Enéide ?

On a trouvé des inscriptions, à Carthage, au nom d’Elyssa où plutôt « Elishat » mais c’est au récit de Justin qu’il faut se référer, Notamment celui relatif aux  « archives » ou « à la Mémoire de Tyr ».

Virgile a été payé pour déformer l’histoire d’Elyssa.

6. D’où le nom de Didon ?

Oui. C’est politique. Auguste voulait reconstruire Carthage. Mais pour le faire sans risques, il fallait déformer une histoire trop noble, belle et puissante. Il a demandé à Virgile de raconter une autre histoire et Virgile nous a servi un conte à l’eau de rose ou Didon tombe amoureuse d’Enée, rescapé de Troie, qui la quitte pour aller fonder Rome. Il y a un anachronisme de 3 siècles, mais surtout, Elyssa perd son âme et Hannibal devient son vengeur lorsqu’il envahit l’Italie. C’est un gag, mais c’est bel et bien la version romaine sur laquelle se sont fondés des centaines d’hommes de théâtre, de musiciens, d’écrivains et de poètes.

7. Comment peut-on s’imaginer Elyssa puisqu’il n’y a aucune représentation de celle connue comme la fondatrice même de ce qui allait devenir la plus grande métropole de l’antiquité ?

Je pense que la « Dame d’Elche » découverte en Espagne est le vrai portrait d’Elyssa.

Ne me demandez pas pourquoi, c’est comme ça ! Quand j’ai vu ce buste, j’ai immédiatement pensé à Elyssa. C’est presque une évidence pour moi, mais n’est-ce pas, c’est personnel.

8. Et si Elyssa n’est qu’une projection de Kahena ? Le vrai nom de Kahena on sait que c’est Dihya qui peut nous conduire à Didon et elle a été l’une des premières femmes guerrières de l’histoire. La théorie peut-elle être valable ? 

Les récits qui nous sont parvenus sont antérieurs à la Kahéna. Mais cette dernière est dans la droite ligne de notre très grande Dame. Il faut spécifier, même si cela ne fait pas partie de notre sujet, que la Kahéna, par sa formidable résistance face aux Arabes, les a contraint à accepter nos coutumes. C’est par le biais de la négociation, et non de la force, que les Tunisiens ont embrassé l’islam. D’où le fameux contrat de mariage de Kairouan, pratiquement contemporain de la dernière invasion arabe et dont l’application prouve que les Tunisiens ont gardé leurs coutumes fondamentales et une partie de leur Droit positif.

En fait, malgré les dizaines d’invasions qu’a connu la Tunisie, sa population a gardé les valeurs fondamentales de la Grande Carthage et de sa fondatrice Elyssa. Ambition, Courage, Respect, Dignité, Liberté.