Selon une enquête du Bureau international du travail, réalisée par testing, les employeurs français pratiquent couramment la discrimination à l'embauche envers les personnes d'origine maghrébine
La discrimination à l'embauche est une pratique courante en France. Selon une enquête du Bureau international du travail (BIT), réalisée par "testing", près de quatre fois sur cinq un employeur français préfère embaucher un candidat "d'origine hexagonale ancienne", plutôt qu'un postulant d'origine maghrébine ou noire africaine.
A CV strictement équivalent en termes de scolarité, formation, qualifications, expérience, mobilité et résidence, le candidat dénommé Julien Roche ou Jérôme Moulin sera choisi dans 78% des cas, de préférence à celui, tout aussi Français, qui a un prénom et un nom à consonance maghrébine, comme Kader Larbi ou Farid Boukhrit, ou noire africaine, comme Binta Traoré.
C'est la conclusion de cette enquête menée par le BIT l'an dernier dans cinq villes françaises - Lille, Lyon, Marseille, Nantes, Paris et Strasbourg -, avec l'aide de comédiens et d'étudiants, de 20 à 25 ans, formés pour l'exercice. Au total, 2440 offres d'emplois, demandant des qualifications basses ou "moyennes-basses", ont été testées dans les secteurs de l'hôtellerie-restauration, de la vente, du commerce et d'autres domaines comme les services à la personne, les transports, l'accueil. "Collectivement, les employeurs testés ont très nettement discriminé les candidats minoritaires (d'origine maghrébine ou noire africaine) et seulement 11% des employeurs ont respecté tout au long du processus de recrutement une égalité de traitement entre les deux candidats", écrit le BIT, dans son compte-rendu sur cette enquête menée entre fin 2005 et mi-2006 en coordination avec le ministère de l'Emploi français.
Dans près de 90% des cas, la discrimination se fait avant même de recevoir la personne en entretien, révèle l'enquête. "Une part très importante de la discrimination se passe au niveau du CV", confirme Eric Cediey, un des co-auteurs. Le BIT livre un petit florilège des discriminations allant du mensonge basique ("le poste est déjà pourvu") à la réponse embrouillée ("rappelez-moi en fin de semaine, on est quel jour ?.. on est vendredi... euh oui donc, rappelez-moi la semaine prochaine pour voir s'il y a du changement"). L'enquête pointe aussi "une forme assez sournoise de discrimination" consistant à mettre en attente le candidat discriminé ("envoyez un CV", "rappelez" ou "on vous rappellera"), tandis que le candidat "majoritaire" reçoit une proposition d'entretien.
Selon le BIT, la convocation à un entretien ou à une évaluation constitue la meilleure manière de prévenir les discriminations. Mais parfois, observe néanmoins l'institution, la discrimination a quand même eu lieu, certains employeurs faisant croire au candidat discriminé qu'il est refusé sous prétexte qu'il habite loin. "Tout travail qui amènerait à neutraliser les stéréotypes véhiculés par le CV pourrait avoir des résultats", estime Eric Cediey, qui considère néanmoins que le CV anonyme "n'est pas la solution pour régler l'ensemble des problèmes". Le secteur de l'hôtellerie-restauration est évocateur: les employeurs attachent là plus d'importance à rencontrer systématiquement les candidats en chair et en os. Pour autant, c'est dans ce secteur que l'étude a enregistré le niveau de discrimination le plus fort à l'issue des entretiens. "Si un recruteur estime au nom d'un raisonnement X ou Y qu'il doit être amené à discriminer, il le fera quoi qu'il arrive, lorsque l'occasion se présentera, si ce n'est pas au niveau du CV, cela pourra être à la dernière étape", estime Eric Cediey.
"Le CV anonyme est une bonne mesure", juge pour sa part Laurent Blivet, consultant en entreprises, et auteur d'une note "Ni quotas, ni indifférence : l'entreprise et l'égalité positive", pour l'Institut Montaigne. Mais ce n'est effectivement pas la seule façon de lutter contre les discriminations. Il faudrait, selon lui, "codifier au maximum les critères de recrutement pour donner le moins de possibilités d'arbitraire aux employeurs".
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